Malgré l’urgence climatique et énergétique, l’Etat n’a jamais autant entravé le développement de l’éolien terrestre
Tribune de Julien PEZZETTA, Président d'Eolise, initialement publiée dans Les Echos et en libre accès ici.
20 ans. Voici 20 ans que je développe des projets éoliens terrestres en France, avec passion et conviction. Ça n’a jamais été facile. A l’époque, il fallait littéralement apprendre aux riverains ce qu’était une éolienne et à quoi elle servait. Mais ce travail a pu trouver une concrétisation et un sens dès le début des années 2000 dans les Hauts-de-France, où nous avons vu émerger les éoliennes pour lesquelles nous avions mené les études sur la faune, la flore, le paysage, le bruit, ou encore le patrimoine. La production d’électricité d’origine renouvelable en France semblait lancée.
Parallèlement à mon engagement pour développer la filière éolienne, l’urgence climatique (et désormais énergétique) n’a eu de cesse de se manifester, de manière toujours plus intense et fréquente. Nul besoin de rappeler les conclusions du GIEC sur les évènements climatiques extrêmes. Nous en avons subi une nouvelle manifestation claire cet été. Le GIEC, qui, rappelons-le, place la sobriété énergétique et le développement des énergies renouvelables comme les premiers leviers à actionner pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Le GIEC qui rappelle aussi que le potentiel des énergies renouvelables pour agir sur le climat au cours de la prochaine décennie est beaucoup plus fort que celui du nucléaire, avec un coût bien plus faible. Face à cette urgence climatique et face à l’absence programmée de gaz russe, le contexte pourrait sembler propice à un développement large et encouragé des énergies renouvelables.
Pourtant, faire sortir un projet éolien de terre n’a jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui. Ce sont les Préfets de chaque région et département, qui, en application des engagements pris par l’Etat (notamment la loi de Programmation Pluriannuelle de l’Energie), sont chargés d’étudier, instruire et accepter (ou non) les projets proposés. Or les bureaux d’études qui développent les projets éoliens font aujourd’hui face à des services de l’État capables d’une rare inventivité pour retarder et refuser les projets. Un exemple parmi tant d’autres : un projet éolien à l’étude depuis 5 ans reçoit un arrêté de rejet car un passage du dossier de 2000 pages devrait être rédigée différemment selon le service instructeur. La réglementation, ayant évoluée deux fois en deux ans, a créé un cadre réglementaire instable à interpréter. Malgré notre accord pour modifier le dossier en conséquence, le préfet a décidé, sans tenir compte de notre réponse et du délai inhérent, de rejeter le dossier.
L’Etat agit ainsi de façon illégale et totalement irresponsable, ne respectant ni les engagements internationaux et européens (la France étant le seul pays de l’UE à ne pas atteindre ses objectifs en matière d’énergies renouvelables), ni ses propres lois, jurisprudences, et engagements nationaux. Malgré les belles annonces régulières (cette semaine, une nouvelle circulaire adressée aux préfets a remis le sujet au cœur de l’actualité), le Gouvernement joue un double jeu et bloque cette filière, pourtant mâture, fiable, compétitive, créatrice d’emplois, assurant une réelle indépendance énergétique. Et le projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables, en discussion, risque de ne rien changer, malgré les rapports de RTE, de l’ADEME, de négaWatt, du Haut Conseil pour le Climat, ou de la Commission européenne, qui placent cette énergie au cœur de la transition énergétique.
Dans une période de grandes tensions climatique, énergétique, économique et sociale, j’appelle donc l’Etat français et ses dirigeants à prendre leurs responsabilités, pour les générations présentes et futures. Des propositions juridiques concrètes pour sécuriser et moderniser (sur le terrain réglementaire) les procédures d’autorisation environnementales vont être formulées afin de mettre le Gouvernement et les ministres concernés face à leurs responsabilités. Sept gigawatts de projets éoliens sont actuellement bloqués, en attente de raccordement, d’évolution d’un appel d’offre CRE ou d’autorisation préfectorale. Il faut les débloquer, nous n’avons plus le temps. L’électricité manque et la planète suffoque.
Julien Pezzetta a co-fondé le bureau d’étude Eolise en 2016. Ingénieur spécialisé en environnement, il travaille dans le développement de projets éoliens depuis 2002, en Bretagne, en Champagne-Ardennes et dans les Hauts-de-France, puis crée Ecotera Développement. Avec une équipe d’une dizaine de personnes, il a développé plus de 500 MW d’éolien dans le Nord de la France entre 2006 et 2018. Après plus de 20 ans à mener des projets éoliens avec conviction, il continue de contribuer à la transition énergétique avec l’équipe d’Eolise.